Un corps fait de chair et de plastique

Publié le par quechacunvoitmidiasaporte

En bonne élève, je me suis toujours appliquée à respecter les règles. Que ce soit à l’école ou au sein de ma famille. J’ai toujours suivi avec bonne grâce le chemin que l’on me montrait du doigt. Etudiante en droit, en 3éme année, j’ai réussi mes examens hauts la main. Mes parents on été si fiers qu’ils m’ont acheté une petite Twingo d’occasion.  Avec mes copines on a profité de cette liberté en faisant de multiples virées shopping. Oui, tout est parfait… Je compte monter sur Paris pour continuer mes études. Voire même partir à l’étranger pour parfaire mon anglais, et ajouter une expérience supplémentaire à mon cv. Nathalie, ma meilleure amie, me suit dans ce projet.

J’entends mon prénom mais la voix me parait lointaine. Une main serre la mienne. Je suis incapable de tourner la tête…

Comme tout le monde, j’ai appris à l’école l’ordre naturel des choses. On nait, on vit et on meurt. Des notre naissance nous acceptons l’issue, car c’est un fait que nous ne pouvons pas changer. Mais nous espérons au plus profond de nous vivre le plus longtemps possible.

J’ai appris aussi autre chose. L’arbre était là bien avant moi et sera là encore bien après. La terre que je foule lorsque je fais mon footing aussi. La façade de mon immeuble est aux premières loges pour voir l’évolution des époques.

Ma vie est celle d’une fourmi en comparaison à une montagne. Tout a une durée plus ou moins longue.

A l’inverse, mon ordinateur portable ne fera que 3 ans et encore, si j’en prends soin. Mon téléphone portable sera considéré comme obsolète dans moins d’un an.

Je le sais. Tout a une date de péremption.

Mademoiselle, est-ce que vous m’entendez ? Vous m’entendez ?... Encore la même voix qui me parle. Je n’arrive pas à savoir d’où est-ce qu’elle vient… Mademoiselle, vous avez été victime d’un accident de la route… Ne bougez plus, nous nous occupons de vous… Et la voix s’éteint…

Dans les nappes de brouillard de mon esprit, j’assimile avec difficultés ses mots. De quoi parle-t-il ?

On dit toujours que ca n’arrive qu’aux autres. Et lorsque cela nous arrive, il est déjà trop tard. Et ça je n’en avais pas conscience. Il n’y a pas d’avertissement. Tout se paie cash, sans aucun préavis.

Je ne peux pas dire que je ne le savais pas. Plaider l’ignorance n’est pas de mise.

Je bouge… Je sens mon corps soulevé… J’ai à peine conscience de se qui se passe autour de moi… Mon sac ! Ou l’ai-je mis ? J’entends des pleurs mêlés à des cris…

J’ai accepté la règle du jeu. Sauf que j’ai mal joué mes coups. J’ai eu tort. Tort de m’avoir fait confiance… J’aurai du rester chez moi. Moi la petite fille qui suit les règles, les a transgressés une seule fois. Juste une fois. Deux verres d’alcool ont suffit pour me rendre ivre. Je n’en avais pas l’habitude. Les autres, mes amis, ont fait confiance à cette fille modèle qui ne dévie jamais de sa route. Ils ont eu tort.

 

 

Nous étions sur la route, moi au volant, lorsque je me suis laissée surprendre par un virage trop serré. Nous étions quatre dans la voiture. Nathalie était à coté de moi, Romain, son cousin et Etienne, son copain, étaient derrières. Ils avaient bu bien plus que moi. Dans l’euphorie de la soirée nous nous sommes décidés à rejoindre des copines de cours dans le centre de Toulouse. C’est surtout Romain qui a insisté. Célibataire depuis trop longtemps à son gout, il pensait avoir ses chances.

Des images me reviennent en mémoire… Des pensées, des sensations… De la peur.

Car en bonne élève que je suis, je savais ce qui se passait. J’ai vu et revu les messages de la sécurité routière. Qui se veulent de plus en plus choquant.

Lorsque la voiture est sortie de la route, je me souviens m’être dit naïvement « Je suis en train d’avoir un accident ».  Le temps semblait s’être suspendu. Et contrairement à ce qui se dit dans les films je n’ai pas vu ma vie défiler sous les yeux. J’entendais Nathalie hurler prés de moi. Romain et Etienne me criait de freiner. Je ne sais pas si je l’ai fais. Je ne sais plus si je les entendu par la suite. Ou sont-ils ?

Ce n’est qu’une fois la voiture immobilisée. Une fois que ma tête pouvait toucher le plafond de la voiture renversée que la peur s’est emparée de moi. Mais très vite, j’ai sombré dans un sommeil profond.

            Mademoiselle, on va vous transporter à l’hôpital… Vous êtes gravement touchée…. Quel est votre nom, mademoiselle ?....

            J’essaye de lui répondre, mais aucun son ne semble sortir de ma bouche. Je fais un effort surhumain pour réessayer. En vain. J’aimerai lui crier mon prénom : Audrey. Dans un élan je veux le lui écrire. Mais encore une fois, mon corps me fait défaut. Il ne réagit pas à mes ordres. Il semble sans vie. Mes yeux s’entre-ouvrent de temps à autres. Mais une lumière rouge m’aveugle.

Je crois que mon portable vibre.  Pourtant je ne l’ai pas mis en silencieux. J’attends le coup de fil de Sonia pour qu’elle me dise ou il faut qu’on se rejoigne…

Il vibre toujours… Je crois qu’il est dans ma main. Il faut que je la prévienne. Il faut lui dire que l’on aura du retard. Juste un peu.

J’ai du mal à remettre mes idées en place. Dés que je serais chez moi, je prendrai une aspirine. Ma tête me fait mal. Je suis fatiguée soudainement. J’ai à peine conscience de se qui se passe autour de moi. Pourtant je perçois une agitation particulière.

Vite !... On la perd !... un….deux… trois… un… deux…. Trois… un… deux….

Je tiens toujours fermement mon portable dans ma main. Enfin je crois. Ses vibrations me rassurent. C’est étrange…

A l’école on nous apprend l’ordre naturel des choses. Mais j’ai appris ce soir, que ce bout de plastique que je tiens dans ma main, bien qu’il soit programmé pour un an, est resté intact. Il vivra plus longtemps que moi… Est-ce naturel, ca ?

Je l’ai maltraité durant des mois, et là j’envie sa position. J’aimerai être fait de plastique. J’aimerai être l’arbre qui surplombe la colline et qui veille à la bonne continuité de la vie.

J’aimerai partir à l’étranger avec Nathalie, j’aimerai finir mes études, j’aimerai encore rendre mes parents fiers de moi. Oui, qu’ils soient fiers de leur petite fille presque modèle.

Je suis fatiguée… Je n’ai même plus conscience de ce que je dis réellement. Je n’entends plus rien autour de moi. L’agitation a cessé.

Pardonnez-moi…

Publié dans 2010

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