moi+lui+elle= nous (-moi)
Un jour, j’avais peut être 13 ans, un professeur m’a conseille d’écrire sur la société. A l’époque mon thème de prédilection était la fuite du temps. Déjà la menace de ce temps qui s’écoule en toute circonstance me fascinait. Mes poèmes étaient larges, car je n’aimais pas vraiment parler de moi (pourquoi ne parle t-on rarement de que ce l'on connait si bien, enfin certains se chargent de le faire à notre place comme s'ils habitaient nôtre âme, notre cœur, comme si notre souffle passait par leurs poumons). J’analysais mes ressentis, mes réflexions. Mais du haut de mes 13 ans, aussi mature que je pouvais l’être, je ne me sentais pas capable de parler de la société. Pas assez de connaissance. Trop prétentieux. Je n’aime pas les gens qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas.
Seulement avec le temps, avec l’expérience, a force d’observation je me rends compte que la connaissance ne fait pas tout. C’est purement technique. Un fait. La théorie sans la pratique en quelque sorte.
Pourtant à partir d’éléments communs nous pouvons avoir individuellement des avis différents car nous sommes tellement proches et si différents à la fois.
Et là, l’expression « chacun voit midi à sa porte » prend tout son sens. Pourquoi, à 25 ans, même si je ne suis pas au cœur de la société, même si je n’en connais pas les tenants et les aboutissants, je ne pourrais pas avoir mon avis ? Pourquoi une gamine de 13 ans n’a pas eu le courage de s’y frotter ? Tout simplement par peur du regard critique de l'Adulte, de celui qui prétend tout savoir et qui aurait dénigré les propos d'une gamine.
Dommage. J’aurais aimé lire la vision peut être simplifiée de cette jeune fille en devenir. Comme un bourgeon d'un arbre qui se remplit de sève, qui s’enivre de vie afin de produire le plus beau fruit, la plus belle fleur éphémère.
Quoi qu’il en soit, j’ai toujours eu un faible pour l’analyse des gens. Ceux qui m’entourent bien sur et plus largement ensuite. Les observer à ma guise puisque personne ne faisait attention à moi. Je suis transparente.
Puisque je n’avais pas les connaissances, les codes d’accès pour comprendre la société, je l’ai appris à travers eux. Dans leurs mots, dans leurs actes, dans leurs désirs refoules, dans leurs concessions, j’ai appris le savoir vivre. Avec beaucoup de détachement.
C’est ainsi que j’ai pu mieux me comprendre, prendre ce que je voulais et surtout fuir ce que je ne voulais pas. Malheureusement, tout n’est pas blanc ou noir, vouloir ou rejeter. Ce n’est pas si catégorique, tranchant. Nous ne pourrions vivre en communauté. Il faut apprendre les demies teintes, les compromis, les concessions...
Quel est l’apprentissage pour devenir adulte ? Quels sont les principes que l’on nous inculque pour devenir de bons adultes productifs à la société ? On nous apprend le partage, le respect, l’obéissance des règles et lois, la concession, l’uniformité. De bons petits soldats... A droite, à gauche, couché, debout. Travail maison...
Nous qui étions unique, enfant, sommes devenus conventionnels pour le bien commun. Nous perdons notre spécificité pour êtres de pâles copies de nos voisins. Des clones à l'infini, ternes ,lisses et mornes.
Nous rêvons d’un mari, d’un job, d’enfants, d’une maison phénix achetée sur 30 ans. (Pas forcément dans cet ordre) Il manque un bon steak et un i phone. Amen ! la messe est dites.... Circulez il n'y a plus rien à voir.
La vie parfaite dupliquée à l'infini qui s'aligne sur des trottoirs proprets devant des bâtisses identiques J’ai oublié le chien ! Mince, voila maintenant le cadre est total prêt pour la photo finale : souriez !
Sans rire, quand je vois les autres foncer la tête baissée dans la vie, sans prendre une seule fois leur respiration, je suis horrifiée. J’ai peur, je suis morte de trouille même. Par ce qu’au final, je fais la même chose que ces gens. Je fonce mais c'est tellement plus facile et réconfortant de voir les erreurs et les égarements des autres (le fameux moi jamais !)
Qui n’a pas eu du mal à respirer, une subite envie de faire l’amour, suite à l’annonce d’un décès d’un proche ? Une envie presque bestiale de se rassurer d’être encore en vie. Qui ? Nous tous, c'est une façon de se moquer de la mort, de lui faire un pied de nez "tu vois tu ne m'auras pas..."… En tout cas pas aujourd’hui.
Dans ce trou où l’on plonge ce cercueil, on s’y voit. Nous nous sentons descendre mètre par mètre jusqu’à toucher la terre humide. Nous sentons la terre nous recouvrir, l’obscurité nous envahir. Et là, à cet instant précis, ne faites vous pas le point de votre vie ? Ne vous demandez vous pas « Ai-je pris le bon chemin ? »
Cette question me harcèle presque quotidiennement. La mort ne me fait pas peur… Je vis avec depuis ma naissance, comme une vieille connaissance que je rencontrerai un jour. Définitivement. C’est de gâcher ma vie qui me terrifie. Oui chère vie qui m'a été donnée, prêtée, louée (peu importe, elle est à moi pour un nombre d'année) et bien très chère vie que vais-je faire de toi...?
Pour le moment je suis entre quatre murs. J’essaie de trouver une porte de sortie, en vain. J’étouffe... Mes poumons me brûlent.
Mon cœur ne balance plus. Je sais ce que je veux. Fuir cette conventionalité. Mais comme un aimant je suis accrochée à elle. Dans la meute il faut hurler avec les loups sinon ils s'avancent vers vous les crocs acérés et vous dévorent goulument.
La famille, les normes, la société, cette fameuse société m’ordonne de rester à ma place. Le vrai courage est là. Celui qui dit merde à tout ce qu’on lui a dicté jusqu’ici. Celui qui va se lever et quitter la salle malgré la foule qui le fusille du regard. Partir sans se retourner pour aller vers un horizon sans limite, vers une vie sans compromis.
Moi je suis assise au troisième rang, j’ai la tête baisse, et me fait toute petite, petite, petite, j'ai de nouveau 13 ans. J’ai trop peur que le feu intérieur qui m’anime ne soit trop visible, j’ai trop peur du regard foudroyant de mon prochain. Trop peur du jugement, du quand diras t-on.
Mais que diras t-on de cette fille lisse, qui aura suivi bien gentiment le tracé commun ? Rien.
Ce n’est pas elle qui deviendra l’héroïne. Ce n’est pas son parcours différent qui viendra alimenter les rêves les plus fous de chacun. Non. Tout au plus, on lui dira merci pour service rendu. Et encore si la gratitude est au rendez vous. On lui tendra sa fiche de paie en lui disant, c’est normal t’es payée pour. Avant de finir par « à demain, même heure ». Oui, à demain, même heure, même vie de merde.
Mais seule à descendre mètre par mètre dans le trou.