Les parcs

Publié le par quechacunvoitmidiasaporte

Les parcs ? Très peu pour moi ! Je déteste ces endroits. Tout est vert, apaisant, dépaysant. Et j’en peux plus de cette hypocrisie. Le monde ne tourne  pas rond. Ce n’est pas le moment de se prélasser au soleil… Sont-ils au courant qu’il est nécessaire de faire du sport pour lutter contre l’obésité ?

Et puis tous ces visages heureux m’énervent. Je n’y peux rien ! Ces familles rassemblées le temps d’un pique nique me donnent envie de vomir. Quand on sait qu’un enfant sur 30 n’est pas du bon père…

Oui, je m’insurge contre ce tableau idéalisé digne d’un film américain de bas étage. Pourtant, je fais parti de ce tableau. Seule tache qui vient ternir l’œuvre. Pour quelle raison déjà ? Ah oui, j’ai un rendez vous galant. Je n’ai pas choisi le lieu, et je le regrette. Que ca fait niais de se rejoindre au seul banc rouge du parc. C’est ça de laisser un peu d’initiative à un homme. Que ne ferait-on pas pour ne pas se retrouver seule le soir dans son lit… personnellement, je suis capable de beaucoup de choses.

J’aime utiliser les hommes comme des kleenex. A usage unique. Ainsi comme MMA, j’applique cette politique au pied de la lettre : « zéro blabla, zéro tracas ».

Ce slogan résume assez bien ma philosophie.

En attendant, je suis assise sur cet horrible banc rouge face à un square bruyant. Les joies de la maternité ! Chose que je suis parvenue à échapper ! Quelle horreur d’entendre continuellement les hurlements de ces enfants hystériques.

Je regarde ma montre. Dix minutes de retard. Ca commence bien. Il n’est pas difficile de repérer ce banc pourtant. Je montre certains signes d’impatience. Je dois jurer avec mon tailleur deux pièces, et escarpins de 10 cm. Je m’en fiche de leur avis. Ce n’est pas de ma faute s’ils ne connaissent pas ventes privées…  chacun a ses adresses.

Non mais regardez moi cette gamine ! Sa mère ne pourrait pas mieux la coiffer ? Qui a dit que tous les enfants sont beaux ? Juste parce qu’ils sont des enfants ! Quand on voit ce que certains deviennent, ca me fait doucement rire.

Pourquoi me fixe-t-il celui la ? J’ai une tache ? Coup d’œil rapide sur ma veste. Rien d’anormal. Evidemment. Ce n’est pas moi qui irais me vautrer dans la boue.

Il s’approche. Que fait-il ? Que veut-il ? Je regarde derrière moi, il n’y a personne. Il se plante devant moi et me tend  sa main tachée de feutre vert. Il doit se tromper de personne. Ce n’est pas possible.

Je suis incapable de réagir. Je fais semblant de ne pas voir sa main tendue vers moi. Je ne tiens pas à ce que l’on me prenne pour une kidnappeuse. Il ne manquerait plus que ca pour parfaire mon cauchemar.

Il continu, le saligaud ! Et pour me rappeler à lui, il agite sa main minuscule devant mes yeux. Je ne peux plus l’éviter. Mon manque de connaissance concernant les enfants m’empêche d’évaluer correctement son âge. Vers les 6 ans, je pense.

Très bien, il veut jouer à ca ? Je le regarde droit dans les yeux et le met au défi. Il me regarde, sourit de ses dents, certaines manquent à l’appel. Sans un mot il me prend la main et d’une force invisible m’oblige à me lever. Je le suis, un tantinet, curieuse et craintive. C’est l’enfant qui me dirige dans la foule. Nous traversons le square, toujours sans un mot.

Je ne regarde plus ce qui m’entoure. Je fixe seulement le haut de sa tête brune. Sa main dans la mienne, est si petite que je suis surprise par la force qu’elle peut avoir.

Il semble savoir où il m’emmène. Je me tourne la tête vers le banc.. Toujours pas mon kleenex en vue. Tant pis. Il n’avait qu’à être à l’heure !

Enfin, l’enfant s’arrête. Je lève la tête et voit devant moi deux balançoires. De son autre main il me désigne une place vacante.

Je lui demande s’il veut que le pousse. Bien que je pense que ce soit le boulot de sa mère ou de sa nounou. D’ailleurs, pourquoi personne ne l’a récupéré cet enfant ? Personne ne le surveille ?

C’est incroyable !

Un peu hésitante, je m’assoie sur le siège. Je ne me sens pas à mon aise. Je tiens tant bien que mal les deux cordes. Et j’ai beau avoir les pieds qui touchent le sol, le déséquilibre me perturbe. Je préférerais de loin me trouver sur une vraie chaise en train de siroter une pina colada.

Sérieusement, qu’est ce que je fais ici ? J’obéi bêtement un gosse de 6 ans à peine ! Moi la responsable d’une équipe de 13 personnes !

L’enfant commence à se balancer doucement. Il semble me montrer comment faire. J’ai perdu le mode d’emploi.

Quelque peu maladroite je parviens à m’élancer. Petit à petit je gagne de l’altitude. Trop concentrée sur mon équilibre, j’en oublie mon compagnon de jeu. J’oublie aussi peu à peu la raison de ma présence ici. Je monte, monte, monte encore.

Je redécouvre des sensations enfouis en moi-même. Des souvenirs d’enfance me reviennent comme si le temps n’avait pas fait son travail. Plus je monte, plus mon âge régresse.

Légèreté.

Mes pieds ont définitivement quitté le sol. Celui là même que je ne quittais plus par peur de ne plus rien contrôler. Mais une fois la peur passée, la boule au ventre devient agréable. De haut en bas, de bas en haut, mon estomac fait des va et viens.

Telle une gamine, j’ai l’envie irrésistible de vouloir toucher une branche d’arbre avec mes pieds. Pour cela je redouble d’effort pour monter plus haut. C’est insensé je le sais. Mais j’éprouve le désir d’aller plus haut, plus loin. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. J’espère peut être pouvoir sortir ma tête du nuage toxique. Voir ce qu’est la vie, vu du dessus. Comprendre pourquoi les enfants sont si joyeux. Ils ont peut être trouvé un moyen de s’échapper. Rien que d’y penser ça me donne plus de force.

Je ressens l’ivresse d’une liberté retrouvée. Enfin.

L’enfant à calqué mon rythme. Et en silence nous nous balançons, le cœur léger. Le temps m’échappe totalement. Le plus étonnant c’est que ca m’est égal. Mon kleenex peut ne pas venir, que je m’en porterais tout aussi bien.

J’aurais pu continuer ainsi, éternellement je pense.  Je ne veux plus m’arrêter. Mais l’enfant s’arrête sans un mot. Alors qu’il ne m’a rien ordonné, ni même fait de signe.

Lorsque je repose les pieds au sol, une drôle de sensation m’envahit. Comme un prolongement de légèreté me surprend alors que je foule la terre avec mes 10 cm de talon. Le garçon lui aussi sur ses pieds se tourne vers moi, me regarde amusé et s’enfuit dans la foule. Sa soudaine disparition me laisse perplexe. Je le recherche des yeux parmi les enfants qui m’entourent. En vain. Il semble s’être évanouit aussi vite qu’il m’est apparu. Les gens autour de moi, ceux qui me sortaient des yeux il y a à peine quelques minutes, ne me prêtent aucune attention. Aucun regard curieux, étonnés sur ma tenue peu appropriée pour faire de la balançoire.

Je me décide enfin à sortir du square. En m’approchant du banc rouge, je perçois mon kleenex qui m’attend sagement. Beau garçon. Soigné.

Pourtant, je passe devant lui sans un regard. Je préfère me promener, quitte à dormir seule ce soir, je suis convaincue qu’il ne m’aurait pas apporté ce que j’ai ressenti sur la balançoire. Personne jusqu’ici ne me l’avais plus jamais fais ressentir. La liberté, la légèreté à l’état pur.

 

Publié dans 2010

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